Du 27 janvier au 1er février 2025, l’équipe du projet « Renforcement de la résilience économique et agricole à la frontière haïtiano-dominicaine (AgriFront) » a conduit une mission de diagnostic approfondie dans quatre communes du département du Centre en Haïti : Cerca-La-Source, Baptiste, Thomonde et Belladère. Cette initiative s’inscrit dans le cadre de la vision stratégique de Heifer International, qui met en œuvre son modèle de « Sustainable Locally Led Development (SLLD) ». Ce dernier vise à promouvoir un développement durable dirigé par les communautés locales, tout en renforçant leur autonomie et leur résilience face aux défis économiques, environnementaux et sociaux.
L’approche SLLD repose sur une méthodologie participative qui place les communautés locales au centre du processus de transformation. Elle s’appuie sur la valorisation des savoir-faire et des compétences des populations tout en intégrant des outils innovants conçus pour répondre à leurs besoins spécifiques. Cette démarche garantit une parfaite adéquation entre les interventions mises en œuvre et les priorités identifiées par les bénéficiaires. Ce modèle favorise non seulement leur engagement mais également l’émergence de solutions pérennes, adaptées aux réalités locales et porteuses de croissance économique. Grâce à cette dynamique de co-construction, les communautés développent une meilleure résilience et se dotent des moyens nécessaires pour relever durablement les défis auxquels elles sont confrontées.
Tout au long de ce déploiement sur le terrain, les communautés locales ont été activement impliquées afin de garantir une appropriation collective des activités. Ainsi, les principes du SLLD ont été expliqués de manière claire aux populations concernées, et leurs perceptions ont été recueillies pour mieux comprendre leur vision et leur rôle actif dans la transformation de leur milieu.
Dans cette optique, les acteurs locaux ont joué un rôle clé en facilitant l’organisation des activités, tandis que l’équipe technique de Heifer a assuré un accompagnement pédagogique pour décrypter certains concepts perçus comme complexes. Grâce à cette méthodologie inclusive, la mission a bénéficié d’une gestion optimisée du temps, d’une coordination fluide entre les parties prenantes et d’échanges constructifs qui ont permis de dégager des priorités stratégiques adaptées au contexte local.
Lors des échanges avec les membres des communautés, notamment à Cerca-La-Source, l’amélioration des infrastructures routières a été identifiée comme une priorité majeure. Les habitants ont mis en avant la nécessité de renforcer la connexion entre les départements du Centre et du Nord-Est via la 3e section communale Lamielle en direction de Carice (37 kms). Selon eux, ce tronçon de route, une fois réhabilité, permettrait de :
- Faciliter les échanges commerciaux entre les communes telles que Cerca-la-Source, Carice, Mont-Organisé, Capotille et jusqu’à Ouanaminthe.
- Améliorer l’accès aux marchés régionaux ;
- Stimuler le développement économique des zones concernées.
De même, l’aménagement du tronçon reliant Cerca-la-Source à Cerca-Carvajal a été jugé essentiel pour intensifier les échanges frontaliers et renforcer la mobilité des biens et des personnes. Ces améliorations, si elles sont mises en œuvre, contribueraient directement à l’intégration économique des communautés et à l’essor des activités commerciales locales.

Le diagnostic a également mis en évidence plusieurs filières agricoles porteuses pour le Plateau central : le maïs, l’élevage caprin, l’élevage de la volaille et le roroli (césame).
- Le maïs :
Culture de base pour l’alimentation des ménages et source de revenus, le maïs occupe une place centrale dans l’agriculture locale. Cependant, plusieurs défis freinent son développement, détaillent les habitants :
- Des pratiques agricoles rudimentaires ;
- Un accès limité aux semences améliorées et aux intrants ;
- L’absence d’infrastructures de stockage et de transformation.
Pour répondre à ces enjeux, une modernisation des pratiques agricoles, accompagnée de la mise en place d’infrastructures adaptées (stockage, transformation en farine ou aliments pour animaux), pourrait considérablement améliorer la productivité et la rentabilité de cette filière.
- L’élevage caprin :
L’élevage caprin, largement pratiqué en raison de son adaptabilité et de sa forte demande sur le marché, souffre de plusieurs contraintes :
- Un accès limité à des formations techniques sur la santé et l’alimentation animale ;
- L’absence de programmes de reproduction sélective ;
- Une faible structuration des circuits de commercialisation.
Un encadrement technique et la création de points de vente modernes contribueraient à accroître la rentabilité de ce secteur, tout en renforçant la sécurité alimentaire.
- L’élevage de la volaille
L’élevage de la volaille est une activité clé pour l’autosuffisance alimentaire et une source de revenus pour de nombreuses familles du Plateau central. Cependant, malgré son potentiel de croissance lié à la forte demande locale en œufs et en viande, cette filière fait face à plusieurs défis, comme l’ont souligné les riverains lors des focus group.
Défis principaux :
– Manque de services vétérinaires : Les éleveurs ont peu accès à des soins préventifs et curatifs, favorisant la propagation de maladies comme la maladie de Newcastle.
– Infrastructures insuffisantes : L’absence de poulaillers modernes et de zones de stockage limite la production à plus grande échelle.
– Coût élevé de l’alimentation : La dépendance aux aliments importés réduit la rentabilité des élevages.
– Circuits de vente désorganisés : La vente informelle sur les marchés locaux entraîne des prix instables et une faible compétitivité face aux produits importés.
Opportunités à exploiter :
– Formation technique : Former les éleveurs en gestion des maladies, infrastructures et nutrition animale pour améliorer la productivité.
– Renforcement des coopératives : Organiser les éleveurs en coopératives pour faciliter l’accès à de meilleurs marchés et structurer la filière.
– Amélioration des circuits de vente : Développer des points de vente modernes et établir des partenariats avec des acteurs locaux (restaurants, hôtels, etc.).
L’élevage de la volaille pourrait devenir un moteur important de sécurité alimentaire et de développement économique dans la région, à condition de bénéficier d’un accompagnement adapté.
- Le roroli/césame :
Riche en protéines, le roroli de son nom scientifique césame (jijiri dans le créole haïtien) représente une ressource agricole sous-exploitée mais à fort potentiel nutritionnel et économique. Cette légumineuse, prisée pour ses valeurs nutritives, pourrait jouer un rôle clé dans la lutte contre la malnutrition et l’insécurité alimentaire, tout en offrant une source de revenus durable pour les producteurs locaux. Cependant, plusieurs contraintes freinent sa valorisation et son intégration dans les chaînes de valeur.
Parmi ces contraintes, on note un déficit de structuration des filières de production et de commercialisation. Les producteurs opèrent souvent de manière individuelle, ce qui limite leur accès aux marchés compétitifs et aux financements. De plus, les infrastructures de transformation, telles que les équipements pour le décorticage ou la production de produits dérivés, restent quasi inexistantes dans la région. Ces lacunes limitent la capacité des agriculteurs à répondre à la demande croissante pour des produits agricoles transformés.
Des initiatives structurées pourraient permettre de révéler tout le potentiel du roroli. Cela inclut l’organisation des producteurs en coopératives ou en associations, ce qui faciliterait l’accès aux ressources, aux formations et aux marchés. Par ailleurs, l’investissement dans des infrastructures de transformation modernes pourrait ouvrir de nouvelles perspectives pour la création de produits à valeur ajoutée, tels que des farines enrichies ou des produits alimentaires prêts à consommer, qui répondraient à la demande nationale et internationale.
Enfin, des campagnes de sensibilisation et de promotion axées sur les bienfaits du roroli, tant pour la santé que pour l’économie, pourraient stimuler sa consommation et inciter les investisseurs à soutenir cette filière. Ces efforts combinés contribueraient non seulement à améliorer les revenus des producteurs, mais aussi à renforcer la sécurité alimentaire et à dynamiser l’économie locale, tout en positionnant le roroli comme une culture phare de la région.
À son arrivée à Thomassique, l’équipe de Heifer Haïti a identifié un système solaire conçu pour l’irrigation agricole, mais actuellement incomplet. Selon les agriculteurs locaux, l’extension et l’optimisation de ce système pourraient considérablement améliorer les capacités de production agricole, en particulier pour les cultures céréalières comme le maïs.
En permettant un accès régulier à l’eau pour l’irrigation, ce système aurait un impact significatif sur la productivité agricole, et cela pourrait réduire la dépendance aux aléas climatiques. Une telle initiative pourrait également encourager l’introduction de techniques agricoles modernes et favoriser la diversification des cultures, renforçant la sécurité alimentaire et la résilience des communautés face aux défis environnementaux.
Par ailleurs, l’optimisation du système solaire stimulerait l’économie locale en créant des opportunités pour les petits producteurs d’élargir leur marché et d’accroître leurs revenus. En facilitant des récoltes plus abondantes, cela contribuerait directement au développement économique durable de la commune de Thomassique.
Selon les données recueillies sur le terrain, l’on décèle que la commune de Thomonde, quant à elle, est un centre clé pour la production d’arachides. Cependant, la gestion des sous-produits agricoles, notamment la paille de pistache, reste un défi important. Constat. Actuellement, cette paille est souvent brûlée, ce qui entraîne des impacts environnementaux négatifs. Pourtant, elle pourrait être valorisée par sa transformation en compost, une solution durable pour améliorer la fertilité des sols tout en réduisant les dépenses liées à l’achat d’engrais chimiques.
La mise en place d’un centre de compostage offrirait une alternative prometteuse. Une telle initiative pourrait non seulement augmenter les rendements agricoles, mais aussi créer des emplois locaux, réduire la pollution et renforcer les pratiques agricoles durables. Cette démarche s’inscrit dans une perspective de développement économique et environnemental pour la commune.
Pour sa part, la commune de Cerca-la-Source est réputée pour la culture de produits maraîchers, tels que les carottes, les choux, les tomates, les poivrons, ainsi que d’autres légumes comme les oignons, les laitues et les épinards. Ces cultures sont essentielles à l’approvisionnement des marchés locaux, mais aussi pour la consommation domestique des habitants. L’abondance de ces produits contribue à la sécurité alimentaire des familles et offre des opportunités commerciales pour les producteurs locaux.
Cependant, malgré leur potentiel, les cultivateurs de la région rencontrent plusieurs défis, notamment la gestion de l’irrigation, l’accès aux semences de qualité et la lutte contre les maladies des plantes. De plus, la concurrence sur les marchés avec des produits importés ou provenant d’autres régions peut réduire la compétitivité des maraîchers locaux.
Pour soutenir la filière, des initiatives de formation sur les techniques de culture améliorées, l’irrigation et la gestion des maladies pourraient renforcer la résilience des producteurs. Par ailleurs, le développement de circuits de distribution organisés et l’amélioration de l’accès au financement aideraient à accroître la rentabilité des exploitations maraîchères et à stimuler l’économie locale.
Fraîchement élevée au rang de commune, Baptiste est reconnue pour la production de café de qualité. Toutefois, pour accroître la compétitivité et la rentabilité de cette filière, il est essentiel de renforcer les circuits de commercialisation et de diversifier les marchés. La structuration des ventes et le développement de nouveaux débouchés, notamment à l’international, où le café de Baptiste est déjà exporté vers le Canada, la France et le Japon, permettraient aux producteurs locaux d’assurer une stabilité économique durable. Un accompagnement ciblé les aiderait à maintenir un niveau de production capable de répondre de manière continue aux exigences et opportunités des marchés internationaux, ceci pour éviter tout risque de rupture dans l’approvisionnement.
En outre, il est important de soutenir et d’améliorer le système de production agricole à travers l’agroforesterie. Cette approche permettrait non seulement de diversifier les sources de revenus, mais aussi d’assurer une gestion durable des ressources naturelles. Renforcer les pratiques agroforestières contribuerait également à la préservation des sols, à la lutte contre l’érosion et à l’augmentation des rendements agricoles tout en garantissant une durabilité environnementale.

Somme toute, ce diagnostic de terrain a permis à l’équipe de Heifer de recueillir des informations clés, pour le secteur agricole des communes cibles du projet AgriFront. Les données collectées constituent une base solide pour orienter les interventions, définir des priorités et élaborer des solutions alignées sur le contexte local. Cette approche garantirait une meilleure efficacité des actions et un impact durable sur les terrains liés aux objectifs du projet AgriFront. Tout ceci grâce au modèle du « Sustainable Locally Led Development (SLLD) », promu par Heifer, une approche novatrice pour renforcer l’autonomie des communautés et garantir un développement durable.
Plateau central, le 6 février 2025
Heifer Haïti